Ce Mardi 14 décembre, l’ex-ministre de l’Intégration du Danemark, Inger Støjberg, a été reconnue coupable d’avoir illégalement ordonné la séparation de plusieurs couples de demandeurs d’asile parce que la femme était mineure. Elle a été condamnée à deux mois de prison.
Inger Stojberg, qui a incarné de 2015 à 2019 le durcissement de la politique migratoire de Copenhague, jusqu’à l’outrance, était jugée mardi 14 décembre devant la cour spéciale de justice qui se penche sur les cas de ministres ayant failli dans l’exercice de leurs fonctions. Cette femme de 48 ans a été condamnée à deux mois de prison ferme pour avoir illégalement ordonné, en 2016, la séparation de 23 couples de demandeurs d’asile dès leur entrée au Danemark.
Quand elle était ministre de l’immigration, la libérale Inger Stojberg célébrait les nouveaux tours de vis dans la politique migratoire danoise déjà très restrictive , en partageant un gâteau avec ses collaborateurs. Avec son goût assumé pour la provocation et le politiquement incorrect, elle était devenue la « ministre préférée » des Danois. Lundi 13 décembre, elle a été condamnée par la Cour spéciale de justice du pays à soixante jours de prison ferme, pour avoir illégalement fait séparer, en 2016, des couples de demandeurs d’asile, dont la femme était mineure.
«Je suis très, très surprise», a réagit Stojberg à la sortie du tribunal. «Je pense que c’est une défaite pour les valeurs danoises aujourd’hui, pas seulement pour moi.» En 2016, 23 couples, dont la différence d’âge était pour la plupart peu importante, avaient été séparés, sans examen individuel de leur dossier, en vertu de la consigne donnée par la ministre. Ils étaient alors placés dans des centres différents pendant l’examen de leur dossier. Sa décision «était illégale car le ministère de l’Immigration n’était pas tenu de prendre un arrangement concret […] dans lequel aucune considération n’était accordée individuellement aux personnes concernées», a indiqué le président de la cour, Thomas Rørdam, lors de l’énoncé du jugement. Le Parquet s’est félicité d’un verdict «clair et correct».
Un peu plus tard, sur son compte Facebook, l’ancienne ministre, redevenue députée en juin 2019, et adepte des réseaux sociaux, a remercié ses soutiens. Si elle a fait savoir qu’elle « respectait le jugement et acceptait [sa] condamnation sans baisser la tête », elle a estimé avoir « été punie pour avoir tenté de protéger des filles ».
Ministre de l’Immigration de 2015 à 2019 dans un gouvernement de centre droit soutenu par la droite populiste anti-immigration du Parti du peuple danois (DF), Inger Støjberg assumait la très restrictive politique d’accueil du Danemark. Elle se targuait d’avoir fait adopter plus de 110 amendements restreignant les droits des étrangers. Durant son mandat, elle avait aussi fait passer une mesure confisquant des biens de migrants pour financer leur prise en charge au Danemark. Ancienne vedette du parti libéral, elle l’avait quitté l’hiver dernier lors de sa mise en accusation formelle.
En 2020, alors que l’ex-ministre n’était plus en poste, le Danemark est devenu le premier pays de l’Union européenne à réexaminer des centaines de dossiers de réfugiés syriens pour révoquer leur permis de séjour au motif que « la situation à Damas » est redevenue calme.
En début d’année la première ministre a rappelé que son objectif était « zéro demandeur d’asile ». Le pays est pourtant loin d’être débordé par les demandes de protection internationale. Il y a moins de six millions d’habitants et, l’an dernier, 1 500 personnes environ ont demandé l’asile, le chiffre le plus bas depuis 1998.
A la suite du verdict, l’un de ses anciens collègues du gouvernement s’est félicité du bon fonctionnement de la justice danoise. «60 jours, c’est une peine sévère, mais il est important que les mensonges et la démagogie ne puissent pas faire fléchir la loi», a écrit sur Twitter l’ancien ministre des Finances, Kristian Jensen. Des soutiens de l’ex-ministre, parmi lesquels les plus fervents partis d’extrême droite, ont quant à eux crié au scandale. «Un jugement totalement incompréhensible. Inger Støjberg a fait ce qu’il fallait. Les mariages d’enfants ne devraient pas être discutés au Danemark – indépendamment de ce que les conventions dépassées peuvent penser», a écrit sur Facebook le chef de file de DF au Folketinget, le parlement danois.
C’est seulement la troisième fois depuis 1910 qu’un responsable politique est renvoyé devant les 26 juges de la cour spéciale de justice au Danemark, destinée à juger des ministres ayant commis des malversations ou négligences dans l’exercice de leurs fonctions. Le dernier cas remonte à 1993 avec le «Tamoulgate», le gel illégal du regroupement familial des réfugiés tamouls qui avait été décidé en 1987 et 1988 par l’ancien ministre conservateur de la Justice Erik Ninn-Hansen. Ce dernier avait écopé ensuite d’une peine de quatre mois de prison avec sursis. A savoir tout de même : au Danemark, les personnes purgeant des peines d’emprisonnement de moins de six mois peuvent bénéficier d’un placement sous surveillance électronique.
L’affaire ne s’arrête en tout cas pas là. En effet, le Parlement doit encore se prononcer sur l’éventuelle exclusion d’Inger Støjberg de son mandat de députée, indépendante de sa première condamnation contre laquelle il lui est impossible de faire appel.
Joseph Kouamé