Une discorde sur le recensement des meurtres conjugaux est à l’origine d’une rupture profonde entre plusieurs associations.
Insultes et chasse aux sorcières sur fond d’accusation de transphobie. Une violente querelle entre associations féministes montre l’ampleur des fractures sur les questions d’identité de genre.
Le mouvement «Nous Toutes», connu pour organiser la marche contre les violences faites aux femmes, a annoncé, le mercredi 9 février dernier, sur les réseaux sociaux qu’il arrêtait de relayer le décompte des «féminicides» au sein du couple effectué depuis six ans par les bénévoles de «Féminicides par compagnon ou ex». Un travail de recensement qui a joué un rôle majeur dans le débat public et dans la mobilisation contre les violences faites aux femmes ces dernières années.
Chaque jour ou presque, on voit ce chiffre, sur fond violet, décompte terrible sur les réseaux sociaux des « féminicides conjugaux » (raccourci idéologique pour parler des « crimes par conjoint »). Mais voilà que le collectif « Nous toutes » annonce ce mercredi 9 février, ne plus vouloir les relayer.
Ce décompte était en effet tenu par le collectif « Féminicides par compagnons ou Ex », accusé soudainement par « Nous Toutes » de transphobie. Accusation aujourd’hui envoyée à tort et à travers, et qui entraîne un ostracisme immédiat sur les réseaux sociaux.
Le problème : plusieurs activistes trans ont reproché au collectif « Féminicides… » de ne pas réaliser le décompte des femmes trans tuées. « Sauf que depuis notre création, aucune femme trans n’a été tuée dans un cadre conjugal », explique une bénévole du collectif, que nous avons pu contacter. « Si ça avait été le cas, nous l’aurions comptabilisée. » Le collectif se fonde par ailleurs strictement sur les articles de presse, « or, aucun article n’a évoqué de femme trans tuée dans un cadre conjugal depuis que l’on fait ce recensement », ajoute-t-elle.
Le collectif se voit reprocher également un tweet, dans lequel les militantes écrivent en réponse à certains trans activistes : « Vu le harcèlement et le dénigrement que nous subissons, certaines ont semble-t-il bien conservé les aspects toxiques de leur masculinité antérieure. ». Certes, plutôt cliché, mais de là à crier à la transphobie…
C’est surtout la lutte contre les meurtres par conjoint qui pâtit de cette histoire. Le collectif s’investit depuis 2016, avec seulement quatre bénévoles, et a permis de faire bouger les pouvoirs publics en montrant l’aspect massif des meurtres conjugaux. Ses bénévoles font aussi l’objet de pression pour qu’elles comptabilisent, outre les femmes trans tuées, les femmes prostituées qui sont assassinées. Mais, encore une fois, ce n’est pas leur projet. Elles souhaitent rester sur l’angle des violences à l’intérieur du couple, soit leur choix depuis le début. « La raison d’être de notre collectif est de montrer l’ampleur des violences conjugales, de montrer que les femmes sont surtout tuées à la maison et non dans la rue. ». « « Nous Toutes » utilise contre nous les arguments misogynes des trans activistes », déplore une des bénévoles, qui se définit comme féministe radicale et abolitionniste.
Ironie de l’histoire, « Nous Toutes » avait elles-mêmes failli être « cancelled » pour avoir organisé la marche contre les violences faites aux femmes le même jour que celui du « souvenir trans » (« Transgender Day of Remembrance » (TDoR)) qui commémore les personnes trans assassinées pour motifs transphobes.
Joseph Kouamé